Les prémices de notre histoire commencent à la fin des années 30, lorsqu' Achille Castoldi, un des premiers pilotes de hors-bord italien commence à faire parler de lui. Avec son frère
Luigi et son cousin Mario, lui aussi pilote mais surtout ingénieur de génie, il développe l’Arno, un bateau de type Hydroplane à trois points, dont la coque est composée de deux pontons,
chacun de part et d’autre de la structure, créant au milieu un tunnel qui emprisonne l'air pour générer une portance aérodynamique. Seuls les pontons et l'hélice restaient en contact avec
l'eau lorsque le bateau était lancé, réduisant considérablement sa friction avec la surface. Evoluant en catégorie 400 kg et propulsé par un moteur Alfa Roméo type 158, Castoldi établi avec
son Arno le record du monde de vitesse à 130,517 km/h en 1940. Il continue ensuite à faire évoluer l’Arno qui est très souvent propulsé par des moteurs Alfa Roméo mais aussi quelques fois par
des Maserati.
En 1951 il met fin à sa collaboration avec Alfa Romeo, et décide de se tourner exclusivement vers la quête du record du monde de vitesse en catégorie 800Kg. Impressionné par la puissance du
moteur 4,5 litres de la Ferrari 375F1 lors de sa victoire au grand prix de Silverstone en 51, Castoldi n’a plus qu’une idée en tête, greffer ce fantastique moteur dans son bateau. Pour ce faire,
il contacte ses amis Alberto Ascari et Luigi Villoresi, deux des quatre pilotes officiels de la 375F1 pour la Scuderia Ferrari, afin de l’aider à convaincre Enzo Ferrari de lui offrir un de ses V12.
Cette tâche fut finalement assez simple, puisqu’il a suffi d’expliquer au Commendator que les rivaux directs de Castoldi étaient soutenus par Alfa Roméo, pour avoir son accord ! Ce sont les chantiers
navals Timossi d'Azzano basés sur le lac de Côme qui ont la charge de construire la coque, une structure à ossature de bois massif recouverte de contreplaqué marine avec un placage en acajou.
Le sous-châssis est quant à lui, renforcé par du métal pour faire face à l'énorme puissance du V12 Ferrari.
Terminé en janvier 1953, arborant fièrement la couleur Rosso Corsa Ferrari et le numéro 4 fétiche de Castoldi, le galop d’essai de l’Arno XI lui permet rapidement d’approcher les 200 km/h.
Mais très peu de temps après, Mario Verga, le nouveau pilote de l'usine Alfa Romeo remplaçant Castoldi, établit le nouveau record de vitesse à 202,26 km/h, qu’il améliore à peine deux semaines
plus tard, atteignant les 226,5 km/h. Castoldi comprend que même avec un moteur de Formule 1, il lui faudra encore plus de puissance et reste persuadé que son bateau pourra encaisser. Avec l'aide
d'une équipe d'ingénieurs Ferrari dirigée par Stefano Meazza, le V12 est cette fois réglé pour fonctionner au méthanol, ce qui lui donne une compression moteur beaucoup plus élevée. On lui
adjoint un système inédit de double allumage à magnétos au lieu des traditionnels chapeaux de distributeur, pour que le moteur continue de fonctionner, même recouvert d'eau et 24 bougies remplacent
les 12 habituelles afin d’optimiser la combustion. Désormais équipé de deux compresseurs, les carburateurs d’origine sont aussi remplacés par de nouveaux à quatre starters pour une meilleure
admission de l’air. Toutes ces améliorations permettent de développer une puissance estimée entre 550 et 600 chevaux contre les 385 d’origine.
Confiant, Castoldi réalise ses tentatives de record au lac d'Iseo le matin du 15 octobre 1953, en présence d'Alberto Ascari et de Luigi Villoresi. Il atteint la vitesse de 241,708 km/h, permettant
à l’Arno XI de devenir le bateau de la catégorie 800kg le plus rapide du monde. A l’heure où j’écris ces lignes, en 2024, ce record est toujours inégalé !
Peu de temps après, Achille Castoldi est victime d’un effroyable accident dans un autre hydroplane propulsé par un moteur d'avion. La mort lors d'essais au lac d'Iseo de Mario Verga, son « ennemi juré » aura raison
de sa motivation, Castoli se retire de la compétition…
Stocké un temps, l’Arno XI, sera finalement revendu en 1958 à l'ingénieur Nando Dell'Orto qui lui apporte encore quelques modifications aérodynamiques, faites à la Carrozzeria Boneschi de Milan. C’est lui
qui donne à l’hydroplane cette allure plus agressive, avec cette prise d'air avant en « nez de requin » et ce grand aileron vertical en forme de queue de canard, censé stabiliser l'arrière à haute vitesse.
Il remplace aussi le numéro 4 de Castoldi apposé sur la carrosserie, par le 50, son propre numéro. Ainsi paré, L’Arno XI reprendra le chemin des compétitions avec plusieurs jolis succès et sera couronné
champion d'Europe en 1963. Il prendra officiellement sa retraite en 1968 et sera remisé au fond de l'immense entrepôt de l’usine de papier de Nando Dell’Orto, située dans la banlieue milanaise.
Ce n’est qu’au début des années 90 qu’il sera sauvé de l’oubli par un passionné de Ferrari, Luciano Mombelli, qui entreprendra de le restaurer. Le moteur, de retour à Maranello,
nécessitera une reconstruction totale des deux arbres à cames en tête et le remplacement de toutes ses soupapes. Les doubles carburateurs à quatre starters seront entièrement révisés ainsi que ses deux
compresseurs. A noter que c’est à cette époque qu’il abandonnera le Méthanol, repassant à l'essence sans plomb à indice d'octane 100 pour une meilleure fiabilité. Avec cette nouvelle configuration, le moteur
a été capable de produire jusqu'à 700 chevaux lors d'un essai au banc.
Côté coque, c’est l’entreprise Bisoli, située à Sirmione sur le lac de Garde, qui s’occupe de vérifier et réparer sa structure, commandant des panneaux stratifiés spécialement au Canada pour la construction d'un nouveau pont.
Ils ont aussi repris l’ensemble du système de direction ainsi que l'hélice bipale dont la vitesse peut dépasser 10 000 tr/min. La petite histoire raconte aussi que Nando Dell’Orto avait changé le volant en
58 lors de l’acquisition de l’Arno XI mais qu’il avait, fort heureusement, conservé celui d’origine. C’est donc tout naturellement que le volant Bugatti à quatre branches, utilisé par Achille Castoldi lors
de ses tentatives de record du monde, a repris sa place légitime dans le cockpit d’aujourd’hui.
Depuis 2004, l’Arno XI a été vu à plusieurs manifestations pour participer à différentes courses sur l’eau. Revendu en 2012 à l’occasion du Grand prix de formule 1 de Monaco à un homme d'affaires basé à Austin,
au Texas, c’est à cette période qu’il est accueilli avec les honneurs par Piero Ferrari à la Galleria de Maranello pour y être exposé un temps. Ce dernier souligne l’importance pour Ferrari d’avoir l’Arno XI dans
son histoire, qui symbolise l’ADN même de la marque, lorsque toute une équipe était capable de travailler pour le rêve d’un seul homme…