C'est en octobre, alors que le projet nommé initialement 250 GT competitzione 62 est déjà bien avancé, que notre affaire commence avec le
départ de ces deux ingénieurs et de plusieurs autres techniciens de chez Ferrari. Personne ne s'accorde à dire si tout ce beau monde a été
licencié suite à une dispute avec Enzo au sujet de sa femme ou s'il a simplement démissionné, excédé par les accès d'autorité du
Commendator.
Ce que l'histoire appellera "la révolution de palais" aboutit à la création de la société ATS (Automobili Turismo e Sport) par ces dites
personnes avec le soutien financier du comte Giovanni Volpi di Misurata. Malheureusement, la toute jeune société ne vivra pas plus de
quelques mois, ses différents actionnaires n'étant que rarement d'accord sur la gestion d'une telle entité.
Etabli à Venise et propriétaire de la Scuderia Serenissima Republica di Venezia (SSS) faisant courir des Ferrari, le comte Volpi
récupère ce qui reste d'ATS, le personnel et les quelques châssis entamés pour tout intégrer à son écurie. Ayant déjà passé commande
de deux 250 GTO à la firme de Maranello, il verra tout bonnement sa demande annulée par un Enzo entêté, en représaille à l'asile offert
aux transfuges. Touché dans son orgueil par ce geste, il se mettra en tête de construire une voiture avec sa nouvelle équipe, pour
l'engager aux prochaines 24 heures du Mans et pouvoir écraser les GTO de Ferrari.
Un peu plus tôt que ces événements, le 11 septembre 1961, Olivier Gendebien prend livraison de la 33ème 250 GT SWB sortie des usines
de Maranello et termine avec elle à la deuxième place du tour de France Automobile dès la fin du mois avec le dossart 145. Grise à bande
tricolore, celle qui porte le numéro de châssis 2819GT sera repeinte en rouge pour intégrer la Scuderia Serenissima le 22 octobre et ainsi
poursuivre sa carrière. Ce n'est que fin mars 62 qu'elle est choisie pour être modifiée et devenir cette tueuse de GTO, chère au cœur du comte,
qui portera le nom de son écurie: Serenissima.
Les ex-ingénieurs Ferrari lui ajouteront tous les éléments qui fera le succès de la Ferrari ciblée, comme la lubrification à carter
sec et surtout les 6 carburateurs double corps Weber de 38 millimètres, permettant d'atteindre 300 cv comme la GTO. Pour accroître
son équilibre général, ils vont, en revanche, lui abaisser son moteur et le reculer encore plus loin vers le centre du châssis,
derrière l’essieu avant.
La carrosserie est confiée à Pierre Drogo qui lui donne un nez pointu percé par deux grosses ouïes destinées à refroidir le moteur
mais surtout la forme insolite de sa hotte arrière. Selon les principes aérodynamiques de l'époque, il s'agissait de l'un des
meilleurs profils envisageables mais il est vrai qu'habituellement, on associe plutôt les lignes tendues des breaks de chasse aux
productions anglaises.
Prête juste à temps pour les 24 heures du Mans le 23 et 24 juin, la voiture n’est malheureusement pas admise par l’Automobile Club
de l'Ouest en catégorie GT, comme sa cousine de Maranello, mais en catégorie "Prototypes". Aucune importance pour le comte Volpi
et son équipe, le but étant d'abattre les voitures d'Enzo Ferrari. Aussi puissante, plus légère et plus aérodynamique, Carlo Abate
et Colin Davis, avec le dossart 16, remplissent le contrat à son volant, en étant devant les 250 GTO, du moins pendant les premières
heures de la course mancelle. Car celle que la presse nomme communément "Breadvan" (camion à pain), possède un sérieux handicap:
celui d’une boîte à quatre rapports moins bien étagée, à l’inverse de la GTO dotée, elle, d’une nouvelle transmission à cinq vitesses,
bien plus efficace. La quatrième heure lui sera fatale, son arbre de transmission plus court dû au recul de son moteur, mal équilibré,
casse, et c'est l'abandon !
Elle participera ensuite à plusieurs épreuves : à Brands Hatch, sous la pluie, où elle termine à la quatrième place, à la course de
côte d’Ollon-Villars en Suisse où elle remporte sa classe et aux 1000 Kilomètres de Paris courus à Montlhéry, pilotée par Lodovico
Scarfiotti et Colin Davis, elle prend la troisième place derrière deux GTO et devant sept autres. Sa dernière course sera au Hillclimb
Gallenga Coppa en mars 1965, finissant neuvième avec Edgardo Mungo derrière son volant.
Le 27 novembre 1965, la Scuderia Serenissima la cède à Ed Niles pour 2800 dollars. 2819GT s'exile aux Etats-Unis et change plusieurs
fois de propriétaire. C'est à cette époque qu'on lui appose des badges Ferrari en lieu et place de ses "Serenissima", certainement
pour accroitre son prix de vente. La rumeur dit même que certains de ses propriétaires auraient envisagé de lui tronquer l'arrière pour
qu'elle ressemble plus à sa cousine GTO.
2819GT revient en Europe, plus précisément en Grande-Bretagne, fin 1974. Fier de son bolide, Martin Johnson, son nouveau propriétaire,
participe à bon nombre de courses historiques avec quelques jolis succès avant de gravement l'accidenter courant 76. Tout l'avant de la
voiture est détruit et doit être reconstruit. Malheureusement les carrossiers anglais qui se penchent dessus ne parviennent pas à lui
redonner le galbe exact de ses ailes, avec un nez moins pointu, des prises d'air difformes et une énorme bouche centrale façon GTO,
la Breadvan a quelque peu ... changé !
Début des années 80, elle retourne aux USA et ce sera finalement son dernier propriétaire américain, Monte Shalett, qui l'enverra
courant 86 à Modène, chez Sport Auto, pour que la voiture retrouve la configuration qu'elle présentait aux vérifications des 24 heures
du Mans 1962. Son nez retrouve sa forme originale sans bouche centrale, tous les planchers sont remplacés, ainsi que la cloison pare-feu,
son moteur est reconstruit, la boîte et son différentiel entièrement revus, le faisceau électrique complètement changé et le système à
carter sec relocalisé à l'arrière de la voiture avec un bouchon de remplissage incorporé dans un panneau latéral côté passager. Des logos
Scuderia Serenissima sont recréés à partir de documents originaux pour remplacer les badges Ferrari et pour répondre aux normes de sécurité
actuelles, un arceau de sécurité est installé, ainsi qu'un extincteur.
En septembre 1987, elle est même invitée pour le 25e anniversaire de la GTO organisé par Jess Pourret en France, ce qui ne manque pas de
provoquer l'indignation des puristes Ferrari.
2005, marque son retour en Europe, elle est rachetée par l'Allemand Klaus Werner.La consécration vient en 2010 où la 250 GT Serenissima
ou Breadvan comme on l'appelle plus communément, est enfin reconnue par Maranello comme « véhicule présentant un intérêt historique ».
Son propriétaire actuel, Martin Halusa, l'acquiert en 2014, elle participe notamment au Mans Classic organisé cette même année, et moi
qui ai pu l'admirer à cette manifestation, peux vous assurer que ce fantastique bolide n'a rien perdu de sa superbe et qu'on devine
aisément que son vrai terrain de chasse est le circuit...
Voici le palmarès complet de 2819GT
250 GT SWB - 1961
14/23 septembre - Tour de France automobile (Olivier Gendebien / Lucien Bianchi N°145) 2ème
22 octobre - 1000 kilomètres de Paris (Maurice Trintignant / Nino Vaccarella n°1) 3ème, 3ème cat
1962
11 février - 3H de Daytona (Olivier Gendebien n°28) 16ème, 3ème cat
24 mars - 12H de Sebring (Fernand Tavano / Colin Davis n°22) Abandon
Converti en Breadvan
23/24 juin - 24H du Mans (Carlo Maria Abate / Colin Davis n°16) Abandon
6 août - Brands Hatch (Carlo Maria Abate n°8) 4ème, 1er cat
26 août - Ollon-Villars hillclimb (Carlo Maria Abate n°193) 4ème, 1er cat
21 octobre - 1000 kilomètres de Paris (Colin Davis / Ludovico Scarfiotti n°15) 3ème, 3ème cat
11 novembre - Puerto Rico GP (Juan Bordeau)
1965 - repeinte en grise
28 mars - Coppa Gallenga (Edgardo Mungo n°482) 9ème cat
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